Savez-vous ce que les Ivoiriens appellent « aggravaffaire » ? C’est une situation où, face à un drame, une personne vient en rajouter, autrement dit mettre le feu aux poudres ou déclencher quelque chose de potentiellement explosif. C’est précisément ce rôle que semble jouer en ce moment la Société nationale des pétroles (SONAP), volontairement ou non.
Volontairement, si elle est manipulée ou sert d’instrument à des intérêts politiques en cette période hautement sensible pour la Guinée. Involontairement, si elle est simplement dirigée par des médiocres et des incompétents. Cette dernière hypothèse paraît plausible, mais sait-on jamais…
Pourquoi parler d’une période explosive pour la Guinée ? La Transition conduite par le CNRD était censée se conclure le 31 décembre 2024, avec des élections devant marquer un retour à un ordre constitutionnel normal, conformément à l’accord signé entre les autorités guinéennes et la CEDEAO. Cependant, ces élections n’ont pas eu lieu, et par conséquent, la Transition ne peut pas se terminer à cette date. La logique voudrait donc un réaménagement du calendrier électoral.
Cependant, les partis politiques et certaines organisations de la société civile opposés au CNRD ne l’entendent pas ainsi. Ils appellent leurs militants à ne plus reconnaître les autorités actuelles à partir du 31 décembre et prévoient d’organiser de gigantesques manifestations à partir du 6 janvier 2025. Leur objectif déclaré ? Imposer une transition civile, en d’autres termes, un coup d’État civil contre le coup d’État militaire du 5 septembre 2021. Ironie du sort, ces mêmes acteurs avaient cautionné la prise de pouvoir par le CNRD avant de s’en détourner, invoquant des promesses non tenues.
Dans ce contexte, la Guinée est à la croisée des chemins. Les Forces de défense et de sécurité (FDS) sont déjà en alerte maximale, avec des permissions suspendues. De son côté, le CNRD, déterminé à ne pas céder, mise non seulement sur les FDS mais également sur le soutien des populations pour contrer les appels à la désobéissance civile.
Et c’est là que la SONAP, par son amateurisme ou sa potentielle complicité (selon les points de vue), semble jouer un rôle d’ »aggravaffaire ». En privant la population de carburant, elle exacerbe une situation déjà marquée par la cherté de la vie. Rien de tel pour attiser la colère et pousser une population, déjà fragilisée, dans la rue. Si l’on ajoute à cela une hypothétique coupure d’électricité par l’EDG, l’explosion sociale deviendrait presque inévitable.
Soulignons au passage que certains « experts en analyses » débiles accusent les autorités de provoquer ces pénuries d’essence afin d’empêcher les regroupements des militants de l’opposition. Comme si ces derniers, avec leurs manifestations larvées ou confinés dans leurs quartiers, avaient réellement besoin de carburant pour se mobiliser. Si l’objectif était d’empêcher ces militants de nuire, le CNRD aurait mieux fait de provoquer une pénurie de… cailloux et de vieux pneus destinés à être brûlés dans les rues !
Ces situations d’exacerbation au niveau de la SONAP et EDG ne sont peut-être pas directement orchestrées par les politiques, mais elles servent idéalement une stratégie de déstabilisation. Si j’étais encore dans la politique subversive active, c’est exactement ce que j’aurais planifié.
Il revient donc au Général Mamadi Doumbouya de reprendre le contrôle de son entourage pour éviter ces débordements, ou d’entamer des négociations sincères avec une opposition qui se positionne désormais comme un acteur politique structuré. La paix en Guinée ne se construira que par un compromis réel et des décisions fortes, à tous les niveaux.
Abdoulaye SANKARA, Journaliste