En Guinée, une pratique insidieuse, ancrée dans nos traditions et mœurs sociales, pousse de nombreux cadres à flirter avec l’illégalité. Ce phénomène n’est pas seulement le fait des individus occupant ces postes de responsabilité, mais il découle souvent de pressions exercées par leurs familles, amis et connaissances. Cette situation met en lumière un enjeu crucial : la nécessité de repenser nos mentalités collectives pour protéger les valeurs d’intégrité et promouvoir une gestion rigoureuse des biens publics.
Lorsqu’un cadre est nommé à un poste de responsabilité, il devient automatiquement la « fierté » de sa famille, de son quartier ou de son village. Les attentes, souvent démesurées, s’accumulent. Tout le monde veut profiter de cette « promotion » : des parents aux amis, en passant par les connaissances lointaines. Mariages, baptêmes, funérailles ou simples sollicitations financières, chaque événement devient une obligation pour ce cadre, qu’il doit honorer sous peine d’être traité d’ingrat, voire de « maudit ».
Pourtant, le salaire d’un fonctionnaire guinéen souvent insuffisant pour répondre à ces attentes, beaucoup se tournent vers les fonds publics. Encouragés, parfois même contraints, par leur entourage, ils finissent par puiser dans les caisses de l’État. Les arguments sont souvent les mêmes : « Tu n’es pas le premier à le faire » ou Tes prédécesseurs se sont enrichis, pourquoi pas toi ? » Cette logique perverse enferme le cadre dans une spirale où il doit choisir entre préserver son honneur familial ou respecter la loi.
Cependant, lorsque ces pratiques sont découvertes et que ces cadres se retrouvent devant des institutions comme la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF) ou la direction des investigations judiciaires de la gendarmerie, ces mêmes proches, qui les ont poussés à l’abattoir, viennent en grand nombre manifester leur soutien. Ils pleurent, crient à l’injustice et demandent clémence, oubliant qu’ils sont souvent les premiers instigateurs de ces dérives.
Alors, il est très urgent que nous, en tant que société, assumions notre part de responsabilité dans ces dérives. L’argent de l’État appartient à tous les guinéens. Il est destiné au financement des services publics, au développement des infrastructures et à l’amélioration des conditions de vie de la population. Lorsqu’il est détourné, ce sont les écoles, les hôpitaux, les routes, et les générations futures qui en paient le prix.
Nous devons inculquer à nos familles, nos communautés et à nous-mêmes l’importance de faire la différence entre biens publics et biens privés. Être nommé à un poste de responsabilité n’est pas un laissez-passer pour l’enrichissement personnel ou familial, mais une mission au service de l’État et du peuple. Plutôt que d’exiger des faveurs indues, encourageons nos cadres à rester intègres et à respecter leurs devoirs.
Le développement de la Guinée repose sur la capacité de ses citoyens à protéger ses institutions. Cela passe par une prise de conscience collective et un changement profond des mentalités. Nous devons apprendre à célébrer nos proches pour leur mérite et leur contribution au bien commun, plutôt que pour leur capacité à répondre à des exigences personnelles et égoïstes.
Les institutions comme la CRIEF sont essentielles pour rétablir l’ordre et décourager la corruption. Cependant, elles ne pourront réussir leur mission sans le soutien d’une société qui valorise l’intégrité et la transparence. Arrêtons de glorifier ceux qui détournent les biens publics et faisons de l’honnêteté un modèle à suivre.
Ensemble, changeons nos comportements pour offrir à la Guinée une administration exemplaire, où chaque cadre peut servir sans crainte, en toute honnêteté et dans le respect des lois. Car il ne suffit pas de punir les corrupteurs, il faut aussi éduquer les consciences pour construire un avenir meilleur.
Mohamed Junior Diallo