Les intellectuels guinéens ont démissionné tout en laissant l’espace public aux médiocres, thuriféraires et saltimbanques qui, avec leurs sirènes propagandistes et démagogiques tympanisent et prennent en otage tout un peuple et son administration aux fins de s’offrir une ascension politique et administrative fulgurante en faisant table rase de l’excellence, du mérite et de la compétence.
L’écho médiatique de certaines prises de position dessine une cartographie sur fond de basculement idéologique, d’inconstance, de retournement de veste, d’ingratitude, bref d’un cycle de l’éternel recommencement.
Ces pseudo- intellectuels dépourvus de toute moralité, sont atteints par le syndrome d’hubris , frappés par une sclérose de réflexion , une défaillance manifeste de l’analyse et par une cécité ou stérilité intellectuelle au point de tourner en dérision avec à la clé la transformation de la dispute intellectuelle tant dans les médias que sur les réseaux sociaux en un match de catch polémique ponctué par des envolées et surenchères verbales dignes d’un film hollywoodien et d’une cour de récréation dans une école primaire.
La mise en spectacle des querelles intellectuelles qui fracturent la vie politique permet de bien cerner ce qui arrive au pays de Sékou Touré et apparaît comme celle d’une longue déchéance teintée d’un regard désabusé et sarcastique d’un peuple martyr qui ne sait plus sur quelle élite intellectuelle faudrait- il compter.
Dès lors, les esprits les plus avisés se demandent si toutefois il existe toujours des intellectuels en Guinée.
En Guinée, il suffit juste d’être capable d’écrire et surtout de manier avec éloquence la langue de Molière pour se réclamer ou être vu comme intellectuel. L’intellectuel est confondu à l’instruit, à celui qui a fait les bancs. Dans ce cas, même celui qui s’est limité dans les études au niveau du primaire se prend pour un grand intellectuel et anime des débats dans l’espace public.
Ensuite l’intellectuel est appréhendé par d’autres comme un producteur d’idées, un penseur capable de poser correctement des questions et de soulever des idées sur la place publique. Il s’agit de toute personne, du fait de sa position sociale, dispose d’une forme d’autorité et la met à profit pour persuader, proposer et débattre des idées en qualité de rhéteur.
Mais qu’est-ce que vraiment un intellectuel en ce 21 -ème siècle ?
L’intellectuel, c’est non seulement celui qui est instruit, qui sait débattre mais c’est aussi et surtout celui qui est dans l’action et qui s’engage dans la sphère publique pour défendre des valeurs en prenant position.
D’où la notion de l’engagement qui est l’action ou l’attitude de l’intellectuel qui, prenant conscience de son appartenance à la société et au monde de son temps, renonce à une position de simple spectateur et met sa pensée ou son art au service d’une cause.
Il est d’une urgente nécessité pour les vrais intellectuels guinéens de sortir de leur mutisme coupable pour s’engager politiquement et socialement afin d’apporter des solutions à cette crise de conscience ou de valeur et cette culture de la médiocrité à propagation virale dans l’espace public. La nature a horreur du vide.
C’es débats de caniveaux entretenus sur les réseaux sociaux par les pseudo- intellectuels guinéens ternissent l’image de l’intelligentsia guinéenne tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Nul n’ignore que les réseaux sociaux sont d’une audience qui transcende l’espace géographique guinéen.
Les cercles et milieux intellectuels sont des endroits où les questions de l’éducation, de démocratie, de droits de l’homme, de gouvernance, des énergies renouvelables, du développement durable, de l’intelligence artificielle etc. sont débattues via l’organisation des forums, des conférences, des ateliers qui permettront de trouver des solutions à ces crises qui secouent notre société et non des milieux de surenchères verbales et d’injures grotesques.
Notre beau pays la Guinée est un scandale géologique dans lequel se trouvent presque tous les métaux précieux qui existent dans l’inventaire scientifique et le château d’eau de l’Afrique occidentale. Paradoxalement, le guinéen est un mendiant assis sur une mine d’or.
L’hypothèse d’une malédiction des ressources naturelles doit être écartée pour laisser la place à celle des ressources humaines, car << Il n’y’a de richesse que d’hommes>> dixit l’économiste Jean Bodin.
Promouvoir une gouvernance vertueuse axée sur le mérite, la compétence, l’excellence et la probité, c’est contribuer à créer un nouveau type de guinéen plus citoyen que militant, à bâtir des institutions fortes et une administration apolitique axée sur la satisfaction de l’intérêt général et la gratuité du service public.
Des intellectuels pétris de talents, d’expertises et de probité existent mais ne sont pas valorisés. Leur crime réside dans le fait qu’ils refusent de se transformer en thuriféraires et saltimbanques pour accéder aux postes de responsabilité dans leur pays.
Dans ce cycle de l’éternel recommencement teinté de course effrénée à l’enrichissement illicite et au repositionnement administratif par tous les moyens démagogiques et propagandistes, l’intellectuel guinéen est une espèce qui est dangereusement menacée d’extinction si on ne siffle pas très tôt la fin de cette récréation.
« La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent » En s’appropriant la maxime sacerdotale de cette citation attribuée à Albert Einstein, on peut toujours sauver ce qui peut l’être.
La Guinée mérite mieux. Travaillons à sa beauté et à l’épanouissement de ses citoyens par la promotion de l’excellence, du mérite, de la compétence et le partage de la prospérité.
Michel Pépé Balamou, enseignant, spécialiste en philosophie politique, analyste des questions de l’éducation, Secrétaire Général du Syndicat National de l’Éducation (SNE)
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