L’administration Trump entend mettre fin au budget de USAID, l’Agence d’aide au développement international des États-Unis. Sur les dix premiers pays qui bénéficient le plus des aides américaines, six sont africains. Décryptage sur les conséquences pour l’Afrique.
Son budget se comptait en dizaines de milliards de dollars en 2020. Aujourd’hui, il est en voie de disparition. La colossale agence américaine pour le développement international, USAID, est dans le viseur de Donald Trump et sa politique de « l’Amérique d’abord ». Dès son arrivée au pouvoir, le 47e président des États-Unis a commencé le démantèlement de cette agence qui finance de nombreux projets humanitaires à travers le monde. Fin janvier, il a ordonné, par décret, un gel massif des financements pendant 90 jours. Elon Musk, désormais chef du « département de l’Efficacité gouvernementale », qualifie l’agence de « nid de vipères marxistes ».
Un juge fédéral américain a ordonné de la restaurer temporairement, mais sa survie n’est pas garantie. Ces coupes budgétaires mettent en péril notamment les secteurs de la santé, l’éducation et l’agriculture, notamment en Afrique. Les pays du continent se préparent déjà aux conséquences de la nouvelle politique américaine et mettent l’accent sur l’importance de travailler sur leur autosuffisance. Retour sur les origines de l’USAID et les enjeux de sa suspension.
Dans cet entretien téléphonique depuis la Floride, aux États-Unis, Francois Phopho Kamano, Consultant en Partenariat et Coopération Internationale, certifié par US Institute of Diplomacy and Human Rights (USIDHR – Washington DC), apporte son éclairage sur deux questions cruciales : la suspension des financements de l’USAID en Guinée et la situation des immigrés guinéens aux États-Unis. Il exhorte le gouvernement à adopter une approche proactive afin de relever ces défis avec efficacité et responsabilité.
Sursautguinee: La suspension des financements de l’USAID en Guinée a surpris de nombreux acteurs. Pouvez-vous nous expliquer les raisons derrière cette décision et son impact sur le pays?
Francois Phopho Kamano : Cette suspension s’inscrit dans la volonté des États-Unis de recentrer leurs priorités sur leurs propres intérêts nationaux. Avec l’arrivée du président Donald Trump, l’administration américaine a évalué l’efficacité de son aide internationale et a pris des décisions de réajustement budgétaire. Cela a entraîné l’arrêt brutal de nombreux projets et la suppression de postes.
En Guinée, entre 1 500 et 2 000 personnes ont perdu leur emploi, notamment au sein des agences de mise en œuvre américaines et des ONG locales bénéficiaires de ces fonds. Les secteurs de la santé, de l’éducation et du développement économique sont les plus touchés, avec des répercussions directes sur les populations vulnérables.
Sursautguinee: Comment le gouvernement guinéen a-t-il réagi face à cette situation?
Francois Phopho Kamano : La réaction a été plutôt limitée. Il aurait fallu une évaluation rapide des pertes, notamment le nombre exact de personnes impactées, et identifier des alternatives de financement. La Guinée doit apprendre à diversifier ses partenaires et anticiper ce genre de décisions. Un fonds d’urgence pour soutenir les programmes les plus critiques aurait été une réponse pertinente.
Sursautguinee: Cette suspension pourrait-elle influencer d’autres bailleurs de fonds ?
Francois Phopho Kamano: Oui, c’est un risque réel. La décision américaine pourrait entraîner un effet domino, incitant d’autres partenaires à revoir leurs engagements envers la Guinée. Mais un autre élément vient encore compliquer la situation: la guerre en Ukraine.
Ce conflit est devenu une priorité absolue pour les pays européens, absorbant une part significative des budgets d’aide internationale. L’OTAN et les grandes puissances occidentales en font un symbole de leur influence et de leur unité, ce qui redéfinit totalement les priorités stratégiques.
En conséquence, les financements destinés à l’Afrique, y compris à la Guinée, risquent de diminuer drastiquement. Face à cette réalité, il est urgent que la Guinée reprenne le contrôle de la gestion de ses ressources et adopte une stratégie proactive pour combler ces déficits budgétaires.
Nous ne pouvons plus nous reposer uniquement sur l’aide internationale. Il est temps d’explorer des solutions internes, de créer des mécanismes efficaces pour mobiliser nos propres ressources et d’encourager le développement des secteurs productifs afin de financer des programmes de croissance durable. Une gestion plus rigoureuse et transparente de nos finances est également essentielle pour maximiser leur impact et éviter tout gaspillage.
L’enjeu est clair : il faut penser à long terme et investir dans des stratégies économiques solides pour garantir l’indépendance financière du pays. Plus que jamais, la Guinée doit bâtir une économie résiliente et moins vulnérable aux aléas des financements extérieurs.
Sursautguinee: Parlons un peu des Guinéens en situation irrégulière aux États-Unis, le gouvernement dispose-t-il de statistiques précises?
Francois Phopho Kamano: Actuellement, aucun chiffre officiel n’a été communiqué par le gouvernement concernant le nombre exact de Guinéens en situation irrégulière, ceux qui sont détenus aux États-Unis ou dans des pays de transit comme le Costa Rica, ainsi que ceux en attente d’expulsion. C’est une véritable lacune, car ces données sont essentielles pour mettre en place des politiques de réintégration adaptées.
Le ministère des Affaires étrangères doit renforcer son suivi et assurer une communication régulière avec les institutions concernées et la population, afin de mieux anticiper et gérer cette situation. Une meilleure transparence permettrait non seulement d’apporter des solutions concrètes, mais aussi de rassurer les familles concernées et de structurer un accompagnement efficace pour les rapatriés.
Sursautguinee: Le ministère est-il en contact avec les autorités américaines sur cette question?
Francois Phopho Kamano: Oui, je suis certain que la Guinée, à travers son ministre des Affaires étrangères, est en contact avec les autorités américaines pour suivre cette situation.
Par ailleurs, une bonne nouvelle mérite d’être soulignée : la Guinée ne figure pas sur la liste des pays soumis à de nouvelles restrictions migratoires.
D’autres pays ont été confrontés à des mesures strictes : certains de leurs citoyens ne peuvent plus entrer aux États-Unis, d’autres doivent respecter des délais rigides pour la gestion de leur visa, et certains pays ont été avertis de la nécessité d’une régularisation immédiate.
Le fait que la Guinée ne soit pas concernée par ces restrictions est un signal positif et témoigne d’une diplomatie efficace. Il faut féliciter les autorités guinéennes pour ce résultat, tout en restant vigilant sur l’évolution des politiques migratoires américaines.
Sursautguinee: Quelles sont les solutions pour mieux gérer le retour et la réintégration des expulsés?
Francois Phopho Kamano: Il est important de faire la distinction entre plusieurs cas. Il y a ceux qui n’ont pas pu régulariser leurs documents mais qui ont toujours été des citoyens exemplaires aux États-Unis. Il y a aussi ceux qui possèdent un casier judiciaire et dont l’expulsion est liée à des infractions. Enfin, il y a les mineurs et les personnes vulnérables, qui nécessitent une attention particulière.
Le gouvernement ne peut plus compter uniquement sur l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), d’autant plus que cette organisation fait face à une réduction de ses financements et ne pourra plus offrir le même niveau de soutien qu’auparavant. Il est donc impératif d’explorer d’autres alternatives, notamment en mobilisant des fonds auprès des entreprises multinationales présentes en Guinée, dans le cadre de leur responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Cette approche permettrait de financer des programmes de réinsertion et d’offrir un accompagnement adapté aux personnes rapatriées.
Sursautguinee: Vous critiquez la médiatisation excessive du retour des rapatriés. Pourquoi?
Francois Phopho Kamano: En Afrique, et plus précisément en Guinée , être expulsé d’un pays occidental est souvent perçu comme un échec. La médiatisation de ces retours peut stigmatiser les personnes concernées et compliquer leur réintégration.
Je recommande donc un accueil discret et respectueux, sans caméras ni annonces publiques, et sans divulgation des noms des rapatriés. L’objectif doit être de leur offrir un accompagnement pour reconstruire leur vie, et non de les exposer inutilement.
Sursautguinee: Quel est votre dernier mot?
Francois Phopho Kamano : Nos dirigeants doivent poursuivre leurs efforts pour instaurer un climat de paix, de justice et de protection des droits humains, des piliers essentiels à la stabilité et au développement du pays.
La Guinée doit également créer un environnement favorable à l’entrepreneuriat et à la génération de revenus, afin d’offrir aux jeunes des perspectives économiques solides sur place. Plutôt que de voir nos frères et sœurs se lancer dans des parcours migratoires risqués, il est essentiel de promouvoir une immigration d’apprentissage, où les jeunes partent à l’étranger pour se former et reviennent ensuite mettre leurs compétences au service du développement national.
L’objectif est clair : bâtir une Guinée où chaque citoyen peut réussir sans être contraint de partir dans des conditions précaires. Le pays dispose de ressources suffisantes pour garantir une vie digne à ses fils et filles. Ce qu’il faut, c’est un engagement ferme du gouvernement pour instaurer un cadre propice à l’épanouissement et à la prospérité de tous.
Sursautguinee: Merci à vous Monsieur Kamano
Francois Phopho Kamano : Merci, Monsieur le journaliste
Entretien réalisé par Daouda Mohamed Camara