La question vaut tout son pesant d’or, surtout si l’enjeu porte sur des crimes de masses qualifiés de crimes internationaux qui constituent des actes qui heurtent profondément la conscience de toute l’humanité. C’est-à-dire des crimes qui touchent l’ensemble de la famille humaine selon le tribunal pénal international de Nuremberg.
« La justice est un élément indispensable du processus de réconciliation nationale. Elle est essentielle au rétablissement des relations harmonieuses et pacifiques entre les hommes et les femmes qui ont dû vivre sous le règne de la terreur. Elle interrompt le cycle de violence, de la haine et prévient la vengeance illégale. Ainsi la paix et la justice vont-elles de pair » a déclaré Monsieur Antonio CASSESSE lors de la conclusion des accords de paix de Dayton en novembre 1995 créant le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.
Comme pour dire que la justice est une dimension fondamentale de tout processus de réconciliation nationale aboutit. Car, du fait de ses fonctions régaliennes, elle apporte non seulement un soulagement aux victimes mais aussi inspire crainte pour les potentiels violateurs des droits de l’homme. Par conséquent, elle permet d’empêcher la perpétuation du crime. Et, cela est extrêmement important pour garantir la sécurité collective de la communauté et favoriser le vivre ensemble.
En outre, un des objectifs recherché par le juge pénal est l’établissement de la vérité des faits par l’interrogatoire des accusés, victimes et témoins afin d’établir les responsabilités de ceux ou celles qui ont troublé l’ordre social. Or, la manifestation de la vérité est une des étapes essentielles pour tout processus de réconciliation qui se veut sérieux et objectif. Car, elle permet non seulement de rétablir la vérité historique des faits et la dignité des victimes mais aussi facilite par la suite l’acceptation par les victimes des excuses solennelles des auteurs, gage de la cohabitation pacifique durable.
Ainsi, pour ma part, dans un pays où les violations des droits de l’homme sont légion, s’inscrire dans une logique de réconcilier pour réconcilier sans chercher à savoir le mobile de ce qui s’est passé pour le corriger afin d’éviter qu’il ne se répète et se perpétue est une opération dangereuse qui qui risque d’aboutir à l’effet contraire de ce qui est recherché. À savoir, une réconciliation nationale aboutie.
D’ailleurs, il est important de rappeler que l’organisation des procès des crimes de masses ou encore crimes internationaux partout ailleurs, que ce soit par le tribunal pénal international de Nuremberg ou les tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda ou encore les juridictions mixtes tel que le tribunal spécial pour la Sierra Léone et le tribunal spécial pour le Liban, pour situer les responsabilités sur les crimes qui ont été commis, a été motivé par la nécessité de réprimer les infractions graves qui menacent la paix et la sécurité internationale en générale. En particulier, le maintien de la cohésion sociale et le vivre ensemble.
Ces différents procès qui ont tous eu lieu successivement après la Seconde Guerre mondiale et son cortège de malheurs ont tous eu un impact durable sur la mémoire collective et ont considérablement contribué à la pacification de nos États et à la création d’une harmonie sociale. Les enseignements tirés des crises ayant conduit aux conflits qui ont débouché à ces procès ont beaucoup contribué à façonner le droit international par la négociation et l’adoption de plusieurs instruments juridiques internationaux par les États membres de l’ONU visant à renforcer la protection de la personne humaine et de sa dignité ainsi qu’à favoriser la paix et la sécurité internationale.
En outre, il faut noter que le fait pour les États d’assumer leur obligation de juger sur leur territoire des crimes qui ont été commis participe également à la prévention du crime, à l’harmonie sociale et à l’éducation des masses sur les violations des droits humains. Cela est extrêmement important pour un pays qui est dans un processus d’ancrage de l’État de droit.
L’autre pilier fondamental d’une réconciliation nationale aboutie est la garantie de non-répétition du crime que l’État réalise par la réforme de ses institutions dont les défaillances ont conduit à la crise des droits et libertés des citoyens pour non seulement empêcher la perpétuation du crime mais aussi pour parer à tout sentiment d’injustice au niveau de ses citoyens susceptible d’engendrer une défiance au système judiciaire conduisant à la vengeance privée. Cela est aussi extrêmement important pour garantir la paix et la quiétude sociale.
Le renversement du président Alpha CONDE par les militaires qui ont pris le pouvoir le 05 septembre 2021 a été motivé par le piétinement des libertés et l’instrumentalisation de la justice avait déclaré le président la transition dans le discours de prise effective du pouvoir. Près de 4 ans après, nos libertés se portent-elles mieux ? Quel sentiment général renvoie aujourd’hui notre système judiciaire, gage de nos droits et libertés, en termes de protection ? Voilà des questions ou réflexions qui à mon sens méritent l’attention de nous tous et toutes en raison du rôle que représente la justice dans le processus de mise en place de l’état de droit auquel nous aspirons tous.
Alseny SALL, militant des droits humains