Lundi 4 août 2025. Mamadi Doumbouya signe un décret. Encore un. Il convoque les électeurs pour un référendum. Encore un. Une nouvelle Constitution. Encore une. Comme une rengaine nationale. Comme un réflexe de pouvoir. Tout est prêt. Sauf l’essentiel : la confiance.
On nous vante cette nouvelle Constitution comme une étape majeure, un souffle de renouveau, un pas vers l’avenir. Mais à y regarder de plus près, elle n’est en rien différente des précédentes. Ce qu’on présente comme des « avancées » ne sont bien souvent que de simples révisions cosmétiques, des ajustements à la marge destinés à maquiller la continuité du système.
Rien de fondamental ne change dans les rapports de force, dans la place réelle laissée au peuple, ni dans la capacité des institutions à résister aux pressions du pouvoir. Ces révisions, aussi sophistiquées soient-elles sur le papier, ne font que perpétuer le cycle : un texte retravaillé pour mieux masquer la même réalité, les mêmes privilèges, la même fragilité démocratique. On aurait pu appeler cela une révision constitutionnelle ordinaire, mais on préfère le grandiloquent « Constitution qui nous ressemble et nous rassemble » pour mieux nourrir l’illusion.
Depuis 1958, chaque pouvoir a rédigé sa propre Constitution. Celle de Sékou Touré à l’indépendance. Celle de Lansana Conté en 1990. Celle trafiquée en 2001. Une autre, provisoire, après le coup d’État de 2009. Puis celle du troisième mandat d’Alpha Condé en 2020. Et maintenant, celle de Doumbouya en 2025. Une Constitution tous les quatre présidents. Ou tous les trois putschs. On ne les compte plus. On ne les respecte plus. On ne les lit même plus. Malgré tout, certains continuent de confondre « Mamaya » et vulgarisation.
Chez nous, rédiger une loi fondamentale est devenu un rituel de pouvoir. Chaque régime veut la sienne, comme on lance sa propre marque de parfum. Sauf qu’ici, le flacon est vide. Ce qu’on y verse, c’est de l’arbitraire. Une dose d’autoritarisme, un mandat sur mesure, un vernis de refondation, un soupçon de populisme, un recyclage des frustrés du régime précédent. Et voilà le chef du moment déguisé en réformateur, armé d’un texte flambant neuf. On l’exhibe à la télé, on le vante dans les meetings, on le murmure dans les salons. Puis on le piétine à la première alerte.
Soyons honnêtes : chez nous, une Constitution n’a jamais été un socle. C’est un décor. Un emballage chic pour faire passer un coup de force. Une brochure en papier glacé. Comme une voiture neuve garée sur une pente sans frein à main. Tôt ou tard, elle finit dans le ravin. C’est juste une question de temps.
Peut-être que celle-ci tiendra bon. Peut-être qu’elle survivra aux bottes et aux slogans. Peut-être. Mais nous avons déjà vu ce film. Et la fin est toujours la même : un générique en treillis, un génie en exil, et nous, bernés avec des bulletins comme on jette du riz à des pigeons.
Toujours le même scénario. Une transition annoncée comme la dernière. Des assises nationales. Des consultations dites inclusives. Un comité d’experts. Une campagne de communication. Et un texte tout propre. Puis, un matin, un homme en treillis – parfois même un sous-officier sans grade, un lakoudou – décide que le jeu est fini. Et on recommence. À zéro.
Mais rendons à César ce qui lui appartient : les militaires ne sont pas les seuls à saboter la République. Les civils aussi ont appris à maquiller leurs abus avec des Constitutions sur mesure. En 2020, Alpha Condé, pourtant élu, tord la loi fondamentale pour s’offrir un troisième mandat. Le coup d’État version costume-cravate. Ce jour-là, ce n’est pas un fusil qui a brisé l’ordre républicain, mais un stylo. Tenu par un professeur de droit devenu apprenti monarque. Encore une fois, la Constitution n’a pas servi de rempart. Juste d’alibi.
Le problème, ce n’est pas le texte. Ce n’est même pas sa qualité, ni ses intentions. Le vrai problème, c’est ce qui l’entoure. Une culture du pouvoir où le fusil parle plus fort que le vote. Où le chef est sacralisé. Où le destin du pays se joue dans une caserne plutôt qu’au Parlement.
Depuis 1984, nous rejouons la même tragédie. Lansana Conté, Dadis Camara, Doumbouya : même mise en scène, même montée à la RTG, même « communiqué numéro 1 » qui efface tout. Chez nous, la démocratie tient dans un télégramme dicté en uniforme.
Pourquoi continuer à faire semblant ? Pourquoi entretenir le culte d’un texte que personne ne défend ? On nous vend l’idée qu’un bon document suffit à empêcher les abus. C’est faux. Une Constitution sans institutions solides, c’est un parapluie en papier dans un ouragan. Tenu à deux doigts, au bord du précipice. Ce n’est pas le texte qui protège le pays. C’est le système. C’est lui, et lui seul, qui le fait tenir.
Regardons le Royaume-Uni. Pas de Constitution écrite. Pas de texte unique. Et pourtant, pas de chaos à chaque élection. Pas de communiqué numéro 1 depuis un siècle. Là-bas, ce sont les institutions – enracinées, respectées, indépendantes – qui tiennent l’édifice. Pas une brochure.
Prenons les États-Unis. Leur Constitution date de 1787. Elle a survécu à des guerres, des crises, des Trump et des Nixon. Non pas parce qu’elle est sacrée, mais parce que les institutions peuvent dire non. Chez nous, on change de Constitution plus vite qu’on ne change de ministre. On plante des pancartes « refondation », on organise des forums citoyens – et pendant ce temps, la vraie décision se prend toujours dans une caserne.
Alors si vraiment le pouvoir vient d’Allah, pourquoi cette énième Constitution ? Pourquoi ces campagnes, ces référendums, ces consultations ? Si tout est décidé là-haut, pourquoi tant de manipulations ici-bas ? Pourquoi des urnes si les fusils décident ?
Ce n’est pas Dieu qui piétine les lois. Ce sont des hommes. Des hommes bien terrestres, avec des bottes, des ambitions – et des complices en soutane, plus prompts à bénir les palais qu’à défendre les peuples. Et nous citoyens ? Nous qui votons sans y croire, qui acceptons sans broncher, qui préférons la paix du silence à l’orage du courage… Nous aussi, nous avons laissé faire. Tant que nos guides spirituels préféreront la bénédiction des palais à la vérité des rues, la justice restera muette, et la foi servira d’écran de fumée.
Au Sénégal voisin, malgré les tensions, la Constitution a tenu. Pas parce qu’elle est parfaite, mais parce que la justice, la presse et la rue ont forcé les dirigeants à plier devant la règle. Des alternances sous tension, certes – mais des alternances quand même. Comme une exception qui confirme la règle, à deux pas de chez nous.
On pourra y inscrire tout ce qu’on veut : égalité, liberté, justice, alternance, langues nationales, parité femmes-hommes. On pourra même y inscrire l’abolition du coup d’État par décret. Cela restera de la poésie, tant que le premier organe exécutif du pays continue de porter un acronyme militaire : CMRN, CNDD, CNRD… ou tout autre sigle en lettres capitales, képi en tête et bottes aux pieds.
Nous n’avons pas besoin d’une nouvelle Constitution. Nous avons besoin d’une rupture. Une vraie. Pas un lifting. Une révolution des mentalités. Une séparation nette entre la politique et les armes. Un État où l’ordre ne descend pas du képi, mais remonte du peuple.
Tant que nous accepterons que le pouvoir change de main au petit matin, dans un studio télé, entouré de kalachnikovs, aucun texte – aussi sacré, aussi relu par la CEDEAO, l’UA, l’ONU ou Dieu lui-même – ne tiendra debout plus de trois saisons.
Alors oui, écrivez-la, votre Constitution. Faites-la relire par des juristes internationaux, sceller par une mission d’observation, imprimer en quadrichromie sur du papier ivoire. Distribuez des T-shirts, organisez des concerts, offrez des gadgets aux jeunes.
Mais sachez-le : tant qu’un seul homme, botté ou cravaté, pourra suspendre la République d’un geste sec, notre Constitution ne sera rien d’autre qu’un décor. Un simulacre. Une promesse qui s’évapore au premier coup de sifflet militaire.
Alors, ce référendum ?
Ils veulent des mains levées.
Moi, je ne lève pas la main. J’élève la voix.
Je refuse de bénir le mensonge.
Je signe par ma voix. Pas par leur bulletin.
Ousmane Boh KABA