La question a été soulevée par l’avocat David Béavogui : « En quoi les propos de Taliby Dabo sont-ils pénalement répréhensibles ? » La réponse mérite d’être donnée, non pas dans l’émotion, mais à la lumière du droit positif guinéen.
Avant de répondre, faisons un point sur le contexte. Le dimanche 24 août 2025, à Kankan, Taliby Dabo, soutien affiché du Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD), la junte militaire au pouvoir, déclarait à l’occasion d’une conférence de presse que des citoyens disparus dont les activistes Oumar Sylla alias Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah étaient gardés « au secret» pour des raisons de « sécurité nationale ». Il ajoutait même que ces derniers « mangent bien, dorment bien et suivent l’actualité » et qu’il soutient le fait qu’ils soient tenus au secret pour la tranquillité publique.
Ces propos, en totale contradiction avec les dénégations officielles, résonnent comme un aveu de détention extrajudiciaire. Face à la controverse, M. Dabo a tenté de se rétracter, ce lundi, parlant d’une « hypothèse ». Mais en droit, le simple fait d’avoir tenu de telles affirmations suffit à soulever de graves implications pénales.
Ses propos, tenus le dimanche à Kankan, constituent soit un mensonge dangereux, soit un aveu accablant. Dans les deux cas, le Code pénal guinéen s’applique. Examinons les différentes hypothèses :
Première hypothèse : propagation de fausses nouvelles
Si ses propos sont faux, ils relèvent de l’article 875 du Code pénal guinéen. Cet article punit la diffusion de nouvelles mensongères ou non vérifiées susceptibles de troubler la paix publique de 6 mois à 2 ans de prison et de 50 à 100 millions GNF d’amende.
En prétendant savoir ce qu’il en est du sort des disparus, alors que le gouvernement a toujours nié son implication ainsi que le lieu de leur détention, il peut être poursuivi pour diffusion d’informations potentiellement fausses ou non vérifiées qui ont pu jeter le trouble dans l’opinion et attiser des tensions déjà vives mais aussi porter atteinte à l’image des institutions de la République.
Deuxième hypothèse : non-dénonciation d’un crime
Si, au contraire, ses propos sont vrais, alors il reconnaît implicitement avoir connaissance d’une séquestration illégale, assimilable à une disparition forcée (article 225), infraction grave aux droits fondamentaux.
Dans ce cas, l’article 298 du Code pénal s’applique : quiconque a connaissance d’un crime et s’abstient d’en informer la justice commet le délit de non-dénonciation, puni de 1 à 5 ans de prison. La peine est aggravée à 3 à 10 ans lorsqu’il s’agit d’infractions portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation (article 706).
Troisième hypothèse : justification ou complicité morale
En cherchant à légitimer une détention secrète au nom de la « sécurité nationale », M. Dabo pourrait également être poursuivi pour complicité morale (article 20) ou pour manœuvres compromettant la sécurité publique (article 561), infractions passibles de 3 à 5 ans de prison.
Quel que soit le scénario retenu (mensonge ou vérité), les propos de Taliby Dabo tombent sous le coup de la loi. Le parquet est tenu d’ouvrir une enquête pour déterminer la véracité de ses affirmations. Ne pas le faire reviendrait à cautionner une justice à géométrie variable.
La balle est désormais dans le camp de la justice : instruire ou s’incriminer par son silence.
Facely Konaté
Journaliste | Spécialiste médias, communication & numérique | Prix d’excellence journalisme 2024 – ICFJ