Alors que la transition guinéenne s’enlise dans les dérives autoritaires, la question du retour ou non de Cellou Dalein Diallo divise. Doit-il rentrer au risque d’être emprisonné, ou rester en exil pour poursuivre le combat démocratique ? Dans cette tribune tranchante, l’auteur défend l’exil comme un choix stratégique et lucide face à un régime qui ne tolère ni l’opposition ni la vérité. Un appel à la résistance intelligente pour sauver l’espoir d’une Guinée libre et démocratique.
Depuis plus de deux ans, le leader de l’UFDG, Cellou Dalein Diallo, vit loin de ses terres natales, contraint à l’exil par un pouvoir transitoire plus soucieux d’écraser l’opposition que de réconcilier une nation meurtrie. Certains s’interrogent : pourquoi rester éloigné si l’on prétend porter l’espoir de tout un peuple ? Pourquoi fuir quand l’histoire s’écrit à Conakry ? Ces interrogations, légitimes en apparence, méconnaissent la nature réelle du pouvoir en place et les leçons tragiques de notre passé politique.
Cellou ne s’est pas exilé par confort. Il a été contraint à l’exil pour ne pas être réduit au silence. Il a quitté une Guinée où la justice est instrumentalisée, où les institutions servent de bras armés à des règlements de compte politiques, et où l’acharnement contre les figures de l’opposition n’a plus rien de subtil. Le dossier poussiéreux d’Air Guinée, vieux de deux décennies, n’est qu’un prétexte. La CRIEF est devenue une guillotine sélective, un théâtre où la loi s’incline devant les désirs du prince.
Qu’on ne s’y trompe pas : si Cellou rentre aujourd’hui, il ne retrouverait ni ses militants, ni ses quartiers, ni sa maison rasée à Dixinn. Il retrouverait Kassory en prison et les ténèbres d’un régime transitoire sans boussole, sans légitimité, et sans horizon. Rentrer serait non pas un sacrifice, mais un suicide politique. Une offrande inutile sur l’autel d’un pouvoir qui ne respecte ni le droit ni la parole donnée.
Certains lui demandent de rentrer pour montrer son courage. Mais depuis quand le courage se mesure-t-il à la capacité de mourir bêtement ? Depuis quand l’on demande à un leader de se livrer aux geôliers de la démocratie ? Résister de l’intérieur n’a de sens que lorsqu’il existe encore un espace pour l’expression, pour la parole libre, pour l’action citoyenne. Or, en Guinée, ces espaces ont été méthodiquement fermés, verrouillés, enterrés.
L’histoire contemporaine de l’Afrique montre d’ailleurs que l’exil n’est pas une fuite, mais une arme stratégique. Alpha Condé, longtemps exilé en France près de 40 ans, interdit de rentrer sous Sékou Touré et Lansana Conté, devient président en 2010. Alassane Ouattara, empêché de se présenter dans les années 1990, contraint à l’exil, revient et remporte l’élection en 2010. Laurent Gbagbo, exilé en France et au Burkina Faso, finit par gagner la présidentielle en 2000. Uhuru Kenyatta, affaibli par des accusations internationales et un retrait forcé, revient et gagne en 2013. Félix Tshisekedi, longtemps en exil en Belgique comme son père Étienne Tshisekedi, finit par diriger la RDC en 2019.Ces trajectoires démontrent que l’exil, loin d’enterrer une carrière politique, peut au contraire préparer l’ascension vers le pouvoir suprême.
Aujourd’hui, depuis l’étranger, Cellou continue de parler, de dénoncer, de rassembler. Il est libre de ses mouvements, libre de ses mots, libre de penser la Guinée sans les chaînes de la répression. Et cette liberté, il la met au service d’une transition véritable, pas d’une farce militaro-politique. Car la démocratie ne s’improvise pas entre deux rafales de kalachnikov. Elle se bâtit avec patience, conviction, stratégie.
Rester en exil, c’est refuser de valider l’arbitraire. C’est opposer à la dictature la seule arme que le tyran redoute : la parole libre, la mémoire vive, la persévérance. Qu’ils détruisent ses maisons, qu’ils salissent son nom, qu’ils manipulent la justice : ils ne peuvent pas emprisonner une idée. Cellou en exil incarne une menace bien plus forte que Cellou derrière les barreaux, dans un cachot ou cimetière.
A bon entendeur salut ! D’ici-là, merci de contribuer au débat.
Elhadj Aziz Bah
*Note de l’auteur : Acceptons la pluralité d’idées. Pas d’injures, et rien que d’arguments.