Désormais, en Guinée, aucun espace n’échappe à l’emprise des faux-semblants. L’imposture est devenue une seconde nature et a colonisé chaque recoin de notre quotidien. Des institutions aux marchés, des routes à nos familles, partout elle règne. Jetons un regard sur ce théâtre permanent.
Dans nos écoles, les élèves s’entassent sur des tables-bancs brisés, à trois ou quatre, parfois même assis à même le sol. Les enseignants, mal payés ou découragés, désertent les classes. Et malgré tout, des diplômes continuent de pleuvoir comme par miracle. Résultat : chaque année, nous fabriquons des diplômés en carton, plus aptes à quémander un poste qu’à exercer un métier.
Dans nos hôpitaux, l’imposture tue. Ces lieux censés sauver des vies se transforment en mouroirs. Avant même d’approcher un malade, certains agents réclament d’abord « le prix de la cola ». Le malade sans argent meurt à la porte, tandis que celui qui glisse des billets obtient une perfusion parfois même sans ordonnance. Ici, la vie se négocie, la mort reste la seule gratuite.
Sur les réseaux sociaux, une nouvelle espèce prospère : propagandistes et insultologues professionnels. Ils tapent sur tout ce qui bouge, encensent ce qui doit l’être et insultent à la demande. Leur rêve ? Se faire remarquer par « le système » pour recevoir une récompense : un sac de riz, une chèvre, une voiture ou pour les plus ambitieux, un décret présidentiel. Bienvenue à l’imposture 2.0.
Dans nos marchés de Madina, Enco 5, Taouyah ou Matoto, la supercherie est devenue loi tacite. On y vend du riz parfumé au gasoil, du poisson décongelé trois fois, de l’huile trafiquée ou des médicaments sans étiquette. Le client fait semblant d’y croire, le vendeur fait semblant de jurer. Tout le monde sourit, tout le monde triche, et la vie continue.
À Dubréka, Coyah ou Kagbélen, les démarcheurs immobiliers foisonnent. Chacun jure détenir « le terrain idéal », avec papiers officiels et notaire « sûr ». Vous payez, vous signez… jusqu’à découvrir que la même parcelle a déjà été vendue dix fois. Les victimes s’accumulent, mais les vendeurs continuent leur commerce, sans vergogne.
Sur nos routes, la police routière a transformé les barrages en caisses de péage. Pas besoin d’infraction : être au volant suffit. À chaque carrefour, un prétexte s’invente pour soutirer quelques billets. Le chauffeur paie, l’agent encaisse, et le trafic reprend comme si de rien n’était.
Dans l’administration, des bureaux entiers sont peuplés de fonctionnaires dont le principal « métier » consiste à manger du lafidi, somnolent ou racontent la dernière rumeur politique. Les dossiers ? Ils prennent la poussière. Mais attention : si tu glisses un petit billet, le miracle se produit ! Le papier sort, signé et cacheté, en moins d’1 heure.
Même les familles jouent leur partition. Dès qu’un héritage apparaît, des « cousins » inconnus débarquent, prêts à jurer sur le Coran qu’ils ont du sang en commun. Et pour justifier leur part, ils inventent des traditions que même nos ancêtres n’ont jamais pratiquées.
Honnêtement, qu’avons-nous fait au bon Dieu pour vivre dans une Guinée transformée en cour des miracles, où chacun joue un rôle qui n’est pas le sien et où le sérieux est devenu l’exception ?
Souleyman Kourouma