L’adoption de la nouvelle Constitution en Guinée, couplée à l’annonce de l’élection présidentielle du 28 décembre 2025, redéfinit profondément le paysage politique national et bouleverse les perspectives de certaines figures historiques de l’opposition politique. Sidya Touré de l’Union des Forces Républicaines(UFR), Cellou Dalein Diallo de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée(UFDG) et Alpha Condé, ancien président de la République et leader du Rassemblement du peuple de Guinée et alliés( RPG AEC) qui ont façonné la vie politique guinéenne depuis deux(2) décennies, se retrouvent désormais dans une position particulièrement délicate. Les dispositions de la Loi fondamentale, bien que formulées dans un langage institutionnel, constituent d’éventuels obstacles directs à leur participation à la prochaine présidentielle.
En effet, la nouvelle Constitution fixe une tranche d’âge obligatoire pour les candidats à la présidence. Il faut avoir entre 40 et 80 ans. Cette limite met Sidya Touré sur la corde raide, et exclut Alpha Condé, désormais âgé de 86 ans, de toute possibilité de retour sur la scène électorale. Une clause apparemment neutre, mais dont l’impact est décisif. Elle exclut d’emblée des acteurs historiques qui ont longtemps incarné l’opposition et le processus électoral en Guinée.
À cela s’ajoute l’exigence de résidence principale sur le sol guinéen, valable depuis le dépôt de la candidature jusqu’à la proclamation des résultats définitifs, sauf dérogation exceptionnelle validée par la juridiction. Cette disposition place Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé dans une situation inextricable, alors qu’ils résident actuellement à l’étranger. En outre, la jouissance des droits civils et politiques devient une condition non négociable. Les poursuites judiciaires dont fait l’objet Cellou Dalein Diallo, et la suspension de son parti, l’UFDG, le disqualifient de facto, tandis que le RPG Arc-en-ciel d’Alpha Condé n’a même pas désigné de candidat.
Enfin, le mandat présidentiel de sept ans, renouvelable une fois, contribue à renforcer la concentration du pouvoir et ouvre paradoxalement la voie à la participation éventuelle d’un candidat du pouvoir actuel, dans un contexte où la frontière entre institution et pouvoir militaire reste étroite. Face à ces obstacles, plusieurs stratégies peuvent être envisagées pour contourner l’exclusion et maintenir un rôle politique significatif.
La désignation d’un dauphin ou d’un candidat suppléant au sein de chaque entité politique constitue une première piste de solution. Un proche ou un cadre de chaque parti politique respectant toutes les conditions constitutionnelles pourrait se présenter au nom du leader historique. Cette approche permet de préserver l’influence politique et la base électorale, même si la visibilité personnelle du leader pourrait faire défaut. Une autre possibilité réside dans la candidature indépendante, qui échappe aux contraintes imposées par la suspension des partis et offre une plateforme légale pour rester dans la course, même en l’absence d’un parti structuré, à condition de remplir les conditions juridiques.
Par ailleurs, le recours aux voies juridiques, à un éventuel cadre de dialogue inclusif et des plaidoyers politiques pourraient offrir une marge de manœuvre et decrisper la situation politique tendue. Ĺà, l’exil temporaire ou l’absence du pays de ces figures du paysage politique et électorale pourrait être interprété comme un cas de force majeure.
L’opposition pourrait également s’appuyer sur des alliances stratégiques, fusionnant les candidatures et désignant un candidat consensuel, afin de préserver une influence politique tangible malgré l’exclusion directe des leaders historiques. Le retour anticipé sur le sol national demeure une autre option, bien qu’il comporte des risques élevés, régulariser la résidence peut permettre de se conformer aux exigences constitutionnelles, mais expose également à des poursuites judiciaires et à des risques sécuritaires.
Le général Mamadi Doumbouya, dont la candidature est demandée par le gouvernement Amadou Oury Bah et certains acteurs politiques alliés, pour sa part, fait face pour l’heure à un dilemme. La Constitution lui permet théoriquement de se porter candidat, mais cette décision est politiquement lourde. Se présenter constituerait une manière de consolider son autorité et d’inscrire son nom dans l’histoire comme premier président de la IVe République, mais pourrait également fragiliser la credibilité et la légitimité perçues de l’élection présidentielle en raison de l’association directe du pouvoir militaire au scrutin. Ne pas se présenter permettrait de préserver son image d’arbitre impartial et de continuer à peser sur la transition par le biais d’un éventuel candidat aligné, tout en limitant les contestations et les responsabilités politiques liées à un mandat direct.
Si Sidya Touré, Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé ne parviennent pas à contourner les obstacles soulevés, la présidentielle de décembre pourrait se tenir sans les grandes figures de la vie politique guinéenne. Ce scénario ouvrirait la voie à une recomposition immédiate du paysage électoral, favorisant l’émergence d’une nouvelle génération de leaders sans véritable base électorale, issue de la société civile, des mouvements de jeunes ou de la diaspora, mais risquant de réduire la légitimité perçue du scrutin présidentiel, si la population ou la communauté internationale considèrent que les règles du jeu politique ont été dessinées pour exclure les acteurs historiques.
Donc, cette élection s’annonce moins comme un simple rendez-vous démocratique que comme un moment décisif pour la Guinée. Elle constitue un test de la capacité des nouvelles institutions à concilier les règles constitutionnelles avec l’inclusion politique et la représentation des forces historiques. La manière dont les partis et les leaders historiques réussiront à naviguer entre restrictions juridiques et stratégies politiques déterminera le visage du pays pour les prochaines années. L’enjeu est clair, soit la Guinée amorce une recomposition politique crédible et apaisée, soit elle s’enferme dans un cycle de polarisation et d’exclusion fondamentale, avec toutes les conséquences que cela implique pour la stabilité et la légitimité du processus électoral.
N’Faly Guilavogui, Journaliste Éditorialiste politique, Analyste politique, DIC- Mastérant en Communication Politique et publique à ISIC de Kountia, Enseignant à UMIG.