Le chantier du football féminin en Guinée demeure immensément complexe. Dans un contexte marqué par un désintérêt profond des autorités, plusieurs acteurs de ce milieu tirent la sonnette d’alarme. Faute d’initiatives et de compétitions nationales régulières, les jeunes footballeuses guinéennes peinent à entrevoir un avenir meilleur. Nombre d’entre elles disent ne plus savoir à quel saint se vouer.
« De nombreuses années sont passées et ce football n’a toujours pas pris ses marques », affirment plusieurs acteurs du milieu. La gestion serait particulièrement inefficace, entraînant le manque de performances des sélections nationales féminines. L’absence répétée des clubs dans les compétitions interclubs de la CAF en est une illustration. Selon des athlètes, des dirigeants et des observateurs, le football féminin guinéen est un monde où les responsables de la Fédération s’investissent peu.
À ces difficultés s’ajoutent d’autres maux non des moindres : absence de vision, déficit de compétences et manque d’organisation. Ces réalités, dénoncées depuis des années par les principales concernées, semblent loin d’être résolues. Un encadreur rencontré par notre équipe, et qui a requis l’anonymat, dénonce une situation préoccupante.
« Sans championnat régulier, on a encore du chemin à faire. Sinon, il y a beaucoup de joueuses talentueuses en Guinée. Ce football féminin est complètement abandonné. Il est oublié. Le football féminin n’a pas de sens dans ce pays. Il n’y a que des encadreurs, des présidents et des bonnes volontés passionnées qui le font vivre. Or, ce football génère beaucoup d’argent pour les dirigeants de la Fédération. Mais ils ont décidé de se servir de ce football au lieu de nous servir, nous, les acteurs. »
Des sélections en souffrance et des clubs écartés !
Les contre-performances des sélections nationales s’accumulent, pendant que les clubs féminins peinent à exister sur la scène africaine. Le football féminin guinéen s’enlise, victime d’un manque d’investissement et de vision, selon de nombreux observateurs. Alors que des pays comme le Ghana, le Sénégal, la Gambie, le Liberia ou encore la Sierra Leone misent fortement sur l’émancipation du football féminin, la Guinée reste à la traîne.
Les footballeuses locales, confrontées à la mauvaise gouvernance, souffrent d’un cruel déficit d’innovation et de perspectives. Ce marasme pousserait nombre d’entre elles à quitter le pays pour tenter leur chance ailleurs avec pour objectif de subvenir aux besoins de leur famille.
L’organisation des compétitions nationales illustre ce chaos, aux dires des acteurs. Lors de la dernière saison, la finale du championnat national a opposé Espoir de Yimbaya à l’AS Bolonta pour une place qualificative à la Ligue des champions féminine de la CAF. Malgré sa victoire, Espoir de Yimbaya n’a pas pu participer aux tours préliminaires, faute de conformité aux exigences de la CAF. Un échec symptomatique, révélateur du manque de professionnalisme dénoncé depuis les temps par les principaux concernés.
Un déséquilibre flagrant et une discrimination persistante
Sans parler de misogynie ouverte, tout laisse à penser que le football féminin est relégué au second plan. Entre abandon, impréparation et absence de programmes durables, la réalité est accablante. Un observateur proche du milieu évoque une discrimination flagrante. Il ne passe pas par le dos de la cuillère.
« Parler du football féminin en Guinée, c’est évoquer deux mondes différents entre hommes et femmes. Il existe un traitement de faveur évident pour le football masculin. Exemple récent : les éliminatoires de la Coupe du monde féminine junior contre le Bénin. Les Béninoises ont bénéficié de trois mois de préparation et de plusieurs matchs amicaux, alors que les Guinéennes ont été livrées à elles-mêmes. Résultat : une lourde défaite 9–4 sur l’ensemble des deux confrontations. »

Ce déséquilibre illustre, selon lui, un manque d’organisation chronique au sommet de l’instance en charge du football guinéen. « Cette sélection ne disposait même pas d’un officier média. La presse guinéenne a dû se tourner vers des pages étrangères pour obtenir des images et des informations. Autre exemple : le Syli féminin U17, retiré d’une compétition sous-régionale pour “manque de moyens”, alors que des nations voisines comme la Sierra Leone, le Liberia ou le Sénégal étaient bien présentes », ajoute-t-il.
Et de poursuivre, « Nous vivons dans un pays où l’on dispute des éliminatoires sans championnat national régulier, où les joueuses ne reçoivent pas de primes, et où le football féminin reste systématiquement relégué au second plan. Il est temps que la Feguifoot prenne à bras-le-corps la cause du football féminin pour offrir un avenir plus juste et plus radieux à nos joueuses », conclut notre interlocuteur.
La contrainte socioculturelle, un frein majeur
La pratique du football par les femmes reste mal perçue en Guinée. Dans l’imaginaire collectif, une fille qui joue au football est souvent jugée comme « sans occupation » ou « dévergondée ». Les traditions et les stéréotypes de genre freinent considérablement les vocations.
« La culture guinéenne, comme dans beaucoup d’autres sociétés africaines, reste marquée par les stéréotypes. On considère souvent que le football n’est pas un sport pour les filles. Cela décourage beaucoup de jeunes qui rêvent simplement de jouer », explique Fatoumata Binta Bérété, présidente de la Ligue guinéenne de football féminin.
Un autre encadreur, lui, estime que les parents n’ont pas tort d’être prudents. Car ce doute est tout autant semé à cause de certaines joueuses. « Le comportement des jeunes filles n’encourage aucun parent à les laisser pratiquer le football. Il y a certaines filles aujourd’hui qui ne vont plus à l’école, qui ne sont pas sérieuses. Elles passent toute la journée à vagabonder. Les filles refusent de mettre du sérieux. C’est leur attitude qui pousse les parents à rester catégoriques », déplore-t-il.
Des pionnières qui bravent les préjugés
Malgré ces obstacles, certaines jeunes femmes continuent de braver les interdits pour atteindre le sommet des rêves. « Les choses évoluent. Les familles et les autorités commencent à comprendre que le sport peut être un levier d’émancipation et de réussite pour les filles. Nous travaillons à faire évoluer ces mentalités », souligne Mme Bérété.
L’histoire de Marie Camara, internationale guinéenne, en est une parfaite illustration. La jeune footballeuse nous révèle la mauvaise appréhension que les gens avaient à son égard lorsqu’elle avait décidé de chausser les crampons. « La mentalité des gens était trop négative envers une fille qui pratique le football. Les gens se moquaient de nous et ma tante m’a interdit de jouer. J’avais pleuré toute la journée et j’ai parlé à mon père en lui disant que si on ne me laissait pas jouer, je ne continuerais pas mes études. Mon père a pris ses responsabilités et a demandé à ma tante de me laisser jouer après les cours, tout en m’apportant son soutien avec des équipements », relate-t-il.
A son avis, « Le soutien des parents est fondamental. Quand une fille veut jouer au football mais que sa famille ne la soutient pas, elle a très peu de chances de persévérer. Beaucoup de parents ont peur du regard de la société ou pensent que le football n’a pas d’avenir pour une fille. Pourtant, ce sport peut ouvrir des portes, que ce soit à travers des études, des carrières sportives ou même des opportunités à l’international », insiste Marie Camara.
Certaines attitudes jugées déplacées nourrissent néanmoins la méfiance parentale, estime une entraîneuse. « Il faut que les parents sachent que chaque enfant a son destin. Vu le comportement de certaines joueuses en Guinée, les parents peuvent catégoriquement refuser. Il y a des joueuses qui se comportent comme des hommes, s’habillent comme des hommes, alors qu’elles sont des dames », se confie cette technicienne.
Peu à peu, les mentalités évoluent et laissent entrevoir de bons espoirs pour la gent féminine. Les parents ont commencé à lever les pieds pour que leurs filles puissent vivre leur passion. « Les mentalités commencent à changer. De plus en plus de jeunes filles osent s’affirmer et pratiquer ce sport avec fierté. Aujourd’hui, on sent un véritable engouement, même si les moyens restent limités. C’est encourageant, mais nous devons continuer à structurer, former et créer des opportunités pour que cette évolution soit durable et visible à tous les niveaux », rassure Mme Bérété.
Les infrastructures, le grand vide et l’absolu handicap
Même si la passion ne faiblit pas, les conditions de pratique restent précaires. Celles-ci sont une autre problématique très complexe pour le football en général et celui féminin en particulier. Un phénomène qui ne saute pas aux yeux de la patronne de la Ligue Guinéenne de Football Féminin. « C’est l’un des freins majeurs. Les filles n’ont souvent ni terrain, ni équipement, pas même d’espace sécurisé pour s’entraîner. Certaines équipes partagent des terrains avec les clubs masculins ou s’entraînent dans des conditions très précaires. C’est un vrai défi », déplore la présidente.
Fatoumata Binta Bérété n’a pas manqué de lancer un appel aux autorités afin de prendre cette question à bras-le-corps. Si cette question est résolue, les jeunes dames pourront valablement jouir de leur passion. « Nous plaidons pour que chaque région dispose de terrains et de structures dignes. Donner aux filles un cadre approprié, c’est leur permettre de croire en leurs rêves et d’élever le niveau du football féminin guinéen », invite-t-elle. 
Un avenir incertain, mais une détermination intacte pour les amoureux de ce secteur qui peine à véritablement décoller. Malgré les obstacles institutionnels, culturels et matériels, les footballeuses guinéennes refusent de courber l’échine. Animées par la passion et le courage, elles continuent de se battre pour un avenir meilleur. Leur rêve : voir un jour le football féminin guinéen retrouver la place qu’il mérite, sur la scène africaine comme mondiale.
Mohamed CISSE












