Le gisement de fer guinéen, l’un des plus importants au monde, doit
entrer en exploitation cette année. Le pilote du projet de Rio Tinto, qui
a pour objectif 60 millions de tonnes de production via la coentreprise
Simfer, a répondu aux questions de Jeune Afrique.
Voilà près de trente ans que le destin de Simandou est lié à celui de Rio Tinto. En 1997, le groupe anglo-australien a acquis le droit d’explorer les quatre blocs de ce site minier du sud-est de la Guinée, considéré comme le plus gros gisement de fer inexploité au monde. De l’avis de tous les observateurs, ce projet pharaonique, situé à plus de 650 km de la côte atlantique, d’où la future production sera exportée, constitue l’un des plus grands défis logistiques – et financiers – jamais entrepris dans l’industrie minière. Tout, en vérité, est démesuré lorsqu’il s’agit de Simandou, et la relation tumultueuse de Rio Tinto avec le site en est le reflet. En 2008, le président guinéen d’alors, Lansana Conté, lui retire la moitié des blocs – les 1 et 2 – puis les attribue à Beny Steinmetz Resources Group. Un événement entaché depuis de corruption. Au milieu des années 2010, face à un prix du fer au plus bas, Rio Tinto cherche à se désengager des blocs 3 et 4, qu’il conservait en association avec un groupement chinois au sein de la coentreprise Simfer. En vain.
Mais, en 2019, tout s’accélère. Un consortium bientôt baptisé Winning Consortium Simandou (WCS) acquiert les blocs 1 et 2 et met tout en œuvre pour avancer vers l’entrée en production. Ses actionnaires (aujourd’hui le singapourien Winning International ainsi que les chinois China Baowu Steel Group et China Hongqiao Group) savent que les groupes chinois ont faim de fer, minerai de base pour fabriquer l’acier, essentiel à de nombreuses industries. Arrivé au pouvoir à Conakry en 2021 par un coup d’État, Mamadi Doumbouya donne à son tour un nouveau coup de collier : il exige que la production démarre d’ici à la fin de 2025, poussant Simfer et WCS à développer le site conjointement pour supporter les coûts – estimés de 15 à 20 milliards de dollars – et tenir les délais.
À quelques mois de cette échéance, Gerard Rheinberger, directeur général de Simandou de Rio Tinto, revient sur les ambitions de son groupe et sur l’importance du projet, pour l’industrie minière comme pour le développement de la Guinée.
Jeune Afrique : Pourquoi a-t-il fallu tant de temps à Rio Tinto pour parvenir au développement du projet Simandou ?
Gerard Rheinberger : En 1996, alors que le groupe cherchait du fer de haute teneur, deux de ses géologues ont consulté des cartes du Bureau de recherche géologique et minière (BRGM) français. Sur celles-ci, ils ont vu des occurrences de ce type de minerai au niveau du mont Simandou. Rio Tinto connaissait déjà la Guinée grâce à l’exploration d’or et de diamants. Des premiers séjours sur le terrain ont eu lieu, avant qu’un permis soit demandé. Des campagnes d’exploration plus poussées ont été lancées après l’obtention d’un permis, en 1997, malgré la difficulté logistique de travailler dans cette zone isolée.
Face à ce défi, qui comporte un volet infrastructures très important, Rio Tinto a tenté d’élaborer des plans successifs de développement du projet. Pendant longtemps, le groupe ne voyait pas comment le rendre viable. Aujourd’hui, la combinaison de trois facteurs le rend possible : le marché, qui est prêt à payer plus cher pour un fer ayant le potentiel de décarboner l’industrie, l’évolution de la technologie de transbordement et le codéveloppement.
Quelles sont les étapes qu’il reste à franchir pour une entrée en exploitation ?
À la fin de l’année 2024, un certain nombre d’étapes de construction ont été atteintes. À la fin de 2025, l’infrastructure du projet sera finalisée, nous pourrons donc démarrer la production. Une première cargaison de fer sera exportée fin 2025 ou début 2026. En trente mois, Simfer aura atteint son objectif de production : 60 millions de tonnes par an. Le développement de Simandou est effectué par Rio Tinto en association avec WCS et le gouvernement guinéen. Un tel attelage est-il complexe dans un contexte de tensions entre la Chine et l’Occident ?
Les parties prenantes de Simandou sont très différentes : la société singapourienne de transport maritime Winning, les groupes publics chinois Baowu – n°1 mondial de l’acier – et Chinalco, le producteur privé d’aluminium China Hongqiao, le gouvernement guinéen, Rio Tinto… Or le projet ne pourra réussir que si nous travaillons ensemble. À cette fin, nous avons réussi à bâtir une relation solide, même si ce n’est pas toujours facile. Sur nos deux blocs, nous sommes actionnaires à 53 %, contre 47 % pour un consortium chinois, dont le principal représentant, Chinalco, est de plus en plus impliqué. Ses équipes font très attention aux coûts et au délai, elles détachent des gens chez nous et facilitent la relation avec nos sous-traitants chinois.
Nous travaillons depuis plusieurs décennies avec des partenaires chinois. Nous sommes une entreprise minière privée, nous croyons au libre-échange. Nous vendons donc à tout acheteur, d’où qu’il soit, peu importe les relations entre les gouvernements. Simandou est un projet très coûteux (6,2 milliards de dollars pour Rio Tinto), développé alors que des analystes tablent sur une offre en fer bientôt plus importante que la demande. Sa rentabilité sera-t-elle à la hauteur de l’investissement ?
Simandou fait la différence par la qualité de son fer. La grande majorité des stocks vendus à l’international ont une teneur en fer de 58 à 63 %. À partir de 63,5 %, on parle de haute teneur. Avec ses plus de 65 % et sa grande pureté, le fer de Simandou est exceptionnel. Avec un seul concurrent dans le monde sur cette gamme : l’État de Pará, au Brésil. Or, pour décarboner l’économie, il faut décarboner l’acier, car ce secteur représente 7 à 8 % des émissions de CO2.
Le partenariat de codéveloppement d’infrastructures mis en place pour Simandou est unique dans le secteur minier, alors qu’il existe Dans le même dossier dans celui des hydrocarbures. Son succès sera un modèle pour des projets avec des défis en matière d’infrastructure. Une telle collaboration entre les approches chinoise et occidentale est aussi un exemple. Mais surtout, son impact économique sera bénéfique pour la Guinée, qui pourra se transformer à tous les niveaux grâce aux revenus générés.
Le gouvernement guinéen vise une transformation locale du minerai de fer dans le pays. Est-ce envisagé ?
Des études de faisabilité en vue d’installer des unités de transformation – en boulettes ou en acier – sont prévues. Elles offriraient un autre levier de croissance pour la Guinée. Une telle usine a toutefois des prérequis, notamment trouver une solution pour l’alimenter avec l’électricité nécessaire. Elle devra aussi être calibrée pour les besoins et la taille du marché ouest-africain. Pour l’instant, la priorité reste l’entrée en production de la mine.
Jeune Afrique