L’universitaire, le professeur Alpha Amadou Bano Barry vient de publier un essai sur le peuplement de la Guinée. L’ouvrage de 162 pages, paru chez l’Harmattan Guinée, aborde les concepts d’autochtones, allogènes et l’instrumentalisation de l’ethnie à des fins politiques.
Le peuplement de la Guinée est le fruit de vagues migratoires. Les groupes ethniques, qui forment aujourd’hui la nation guinéenne, proviennent des éclatements successifs des empires et royaumes de l’Afrique de l’Ouest, à en croire l’auteur de l’essai intitulé Autochtones, allogènes, étrangers et ethnies. Tous seraient venus par vagues successives et divers chemins, pour s’établir dans l’actuelle Guinée : Mandenyi, Teméné, Soussou, Baga, Landouma, Nalou, Tanda, Bassari, Koniagui, Badiaranké, Dialonké, Peul, Foulacounda, Toucouleur, Wassoulounké, Diakanké, Sarakolé, Malinké, Maninka-Mory, Konianké, Kissia, Loma, Kpèlè, Manoon, Konon.
« On peut admettre que les Teméné, les Mandenyi et les Loma seraient les plus anciennement établis sur le territoire guinéen », précise toutefois l’auteur. Selon Alpha Amadou Bano Barry, ceux qui se disent autochtones sont, peut-être sans le savoir, des allogènes par rapport à d’autres groupes ethniques arrivés avant eux. Chaque groupe ethnique a repoussé son ou ses prédécesseurs sur un territoire donné, avant d’être repoussé à son tour par d’autres. Les Soussous ont repoussé les Mandenyi de Coyah et de Forécariah vers la Sierra Leone. Les Nalou, les Baga et les Landouma ont été repoussés du Fouta Djalon par les Dialonkés, eux-mêmes repoussés par les Peuls islamisés. A Faranah et environs, les Dialonkés auraient refoulé les Kissis vers la Guinée Forestière. Ceux-ci, à leur tour, ont repoussé les Korogbas. Les Malinkés ont repoussé les Lomas dans Kérouané, les Kpèlès dans Beyla. À leur tour, les Kpèlès ont été repoussés par les Manoon », écrit-il.
Le jeu de Conté et de Condé
Toutefois, l’auteur, qui fut ancien ministre de l’Éducation nationale, recteur et vice-recteur d’universités, trouve difficile de préciser à quand remonte l’arrivée des premières vagues de migrants. Mais la plupart des sources sur le sujet le situent approximativement entre le Ve et le XVIe siècle.
Hormis le peuplement de la Guinée, l’essai aborde l’instrumentalisation ethnique à des fins politiques. La problématique d’allogénie et d’autochtonie a commencé à se poser à partir des élections législatives de 1991 en Guinée. Lors d’un séjour à Nzérékoré, feu le Président Lansana Conté « avait catégoriquement refusé la traduction de son adresse à la population en langues konianké et maninka alors qu’il avait accepté que son discours soit traduit en kpèlè. »
Entre juin 1991 et juillet 2013, l’auteur dénombre une quinzaine de cas de violences intercommunautaires. Sous l’ex-Président Alpha Condé, l’instrumentalisation ethnique à des fins politiques s’est faite à travers l’histoire du Menden-Djalon. « Ils ont développé l’idée selon laquelle les populations non-peules sont les premiers occupants du Fouta-Djalon dont le nom exact, pour eux, serait Djalonka-Dougou », écrit le Pr Bano Barry.
Les conflits domaniaux entre autochtones (cessionnaires) et allogènes (acquéreurs) en Basse-Guinée (Kindia, Coyah, Forécariah et Dubréka) sont également recurrents. Une problématique liée à la valeur de la terre, outil de production agricole, de projet immobilier et de spéculation foncière, décrypte l’auteur.
Identités, familles de langues
L’auteur observe par ailleurs que des Guinéens revendiquent une pluralité d’appartenance ethnique. Ils peuvent changer d’appartenance ou réclamer une double appartenance ethnique en fonction de l’histoire migratoire, des circonstances et des enjeux, notamment politiques. « On a été témoin qu’à chaque changement de régime politique, des X redeviennent des Y en fonction de la conjoncture et des rapports de force du moment. Des gens ajoutent ou retranchent quelque chose dans leur nom de famille afin de pouvoir se réclamer d’une identité conforme à leur positionnement de recherche de place dans le dispositif institutionnel du moment », aborde l’essai.
Les groupes ethniques guinéens et plus généralement ouest-africains ont un socle social et culturel commun, tous généralement issus du dessèchement du Sahara et de la chute de l’Empire du Ghana vers 1076. L’auteur ajoute que les guerres et les migrations impulsent également un changement d’identité ethnique.
Se basant sur un recensement sous Sékou Touré, l’essai du Pr Alpha Amadou Bano Barry identifie 24 groupes ethniques en Guinée, regroupés en deux familles de langues. Le groupe mandé : maninka, koniaka, sosoxui, dialonka, lomagui, kpèlèwoo… et celui atlantique : bassari, pular, toucouleur, kisié, baga, nalou…
L’arme des incompétents
Alpha Amadou Bano Barry flétrit l’instrumentalisation ethnique, arme de personnes incompétentes : « Ceux qui ont eu accès à la fonction publique par les fenêtres, par les portes dérobées, sont les principaux acteurs de l’activation et de la mobilisation ethnique au sein de l’Administration publique. Dans une telle configuration, personne ne devrait s’étonner de voir les uns et les autres utiliser l’appartenance ethnique, régionale ou le genre, l’âge […] pour accéder à des postes de privilège ».
Or, assure-t-il, les ethnies n’ont aucun problème de cohabitation, de mariage, sans considération autre que la question du revenu. « Lorsque la compétition est serrée et que les atouts sont faibles [diplômes sans valeur, expérience nulle], il ne reste plus que les attributs du ‘’Nous’’ pour éliminer ‘’Eux’’. Dans ce sens, l’identification ethnique et son utilisation dans la compétition politique et administrative est un vecteur de positionnement », tance l’auteur.
L’essai, qui vient de paraître chez l’Harmattan-Guinée, se positionne au carrefour de la sociologie et de l’anthropologie. Il contribue à déconstruire les discours qui falsifient et instrumentalisent l’histoire, pour exacerber les tensions ethniques à des fins mercantiles.
Lynx