Dans une Guinée marquée par une instabilité politico-militaire chronique, où les Constitutions sont aussi vulnérables que les institutions qu’elles prétendent régir, le projet de nouvelle Loi fondamentale proposé par le Général Mamadi Doumbouya et qui sera soumis à référendum le 21 septembre prochain se présente comme une tentative audacieuse, voire salvatrice, de conjurer le spectre des putschs.
Depuis son indépendance en 1958, la Guinée a connu trois coups d’État militaires, le dernier en date étant celui du 5 septembre 2021, conduit par le colonel Mamadi Doumbouya, aujourd’hui Général d’Armée. En réponse à cette instabilité répétitive, le projet constitutionnel consacre en son article 195 une disposition radicale : « La présente Constitution ne peut être invalidée ou suspendue par toute déclaration ». Plus encore, il stipule que « toute tentative de suspension ou d’invalidation est nulle et de nul effet », quelle qu’en soit la forme, et expose ses auteurs à des poursuites pénales. Pour les citoyens, il est envisagé un droit à la désobéissance civile dans de telles circonstances.
Sur le papier, l’intention est claire : sacraliser l’ordre constitutionnel et dissuader toute prise de pouvoir par la force. Mais cette démarche, si noble soit-elle, se heurte à une réalité continentale bien ancrée : les Constitutions africaines ont rarement survécu aux bottes militaires. En témoignent les expériences récentes au Gabon, au Mali, au Burkina Faso, au Niger… et plus tôt encore, en Guinée même, en 1984, en 2008 et en 2021. Dans chacun de ces cas, les textes fondamentaux en vigueur à l’époque condamnaient fermement les coups d’État, sans que cela n’empêche leur survenue.
Entre légalisme et rapports de force
Le problème n’est donc pas tant l’absence de normes constitutionnelles condamnant les putschs, mais l’incapacité structurelle des États à les faire respecter. En Afrique de l’Ouest, la force a souvent prévalu sur le droit, dans un environnement où les institutions sont faibles, les élites politiques discréditées, et la société civile marginalisée ou instrumentalisée.
Il ne suffit pas de graver l’inviolabilité de la Constitution dans le marbre juridique ; encore faut-il créer les conditions politiques, sociales et institutionnelles pour qu’elle devienne un rempart effectif contre les dérives autoritaires ou les aventures militaires. Cela passe notamment par :
– Une réforme en profondeur de l’armée, qui devrait être formée à une doctrine républicaine claire, où la neutralité politique devient un principe non négociable, comme c’est le rare cas au Sénégal ;
‐ Un renforcement du pouvoir judiciaire, capable de poursuivre, de manière indépendante et efficace, toute tentative de subversion de l’ordre constitutionnel ;
– Une société civile outillée et mobilisée, capable d’alerter, de résister et d’encadrer pacifiquement les aspirations citoyennes, y compris par la désobéissance civile, selon les textes de loi ;
– Une éducation citoyenne de masse, qui ferait du respect de la Constitution un enjeu de dignité collective et non un simple débat d’élites ou d’experts en droit.
Une Constitution seule peut-elle garantir la stabilité ?
La Constitution, aussi bien écrite soit-elle, ne protège pas un pays d’un coup d’État par sa seule force normative. Elle n’est ni une armure ni un talisman. Elle est un contrat social vivant, qui nécessite l’adhésion sincère de ceux qui gouvernent et la vigilance constante de ceux qui sont gouvernés.
Pour que ce nouveau pacte républicain ait un sens en Guinée, les pouvoirs publics doivent, dès maintenant, démontrer leur volonté de respecter le texte, non pas à travers des discours solennels, mais par des actes concrets : renforcement des institutions, lutte contre l’impunité, respect des libertés publiques et engagement clair à ne pas instrumentaliser la loi à des fins politiques. Autrement dit, le meilleur antidote au coup d’État reste la gouvernance vertueuse.
Ni fétiche juridique, ni garantie divine
La nouvelle Constitution guinéenne, avec ses mécanismes de protection contre les coups de force, est un progrès certain dans l’histoire institutionnelle du pays. Mais elle ne sera crédible que si elle est portée par une culture politique renouvelée, une armée républicaine disciplinée, et un peuple conscient de son rôle de gardien du contrat social.
Car une Constitution, aussi sacrée soit-elle, ne tiendra jamais tête à une kalachnikov si la société dans son ensemble ne la défend pas, non par peur, mais par conviction.
Par Abdoulaye Sankara (Abou Maco), journaliste