Depuis la remise officielle du projet de nouvelle constitution au Président de la République par le conseil national de la transition (CNT), les débats vont bon train, notamment chez les politiques. Une des points qui alimentent ces discussions, c’est l’article 74 qui stipule que les anciens présidents de la République bénéficient d’une immunité civile et pénale pour des actes accomplis dans les conditions régulières de leurs fonctions.
Si beaucoup y voient une garantie donnée à l’impunité, d’autres estiment plutôt que ceci faciliterait au contraire, l’alternance démocratique dans le pays. C’est le cas d’un juriste constitutionaliste, Alhassane Makanera Kaké qui a été interrogé par nos confrères d’Africaguinee.com.
M Makanera s’explique en soutenant que “J’ai un point de vue un peu différent. Il faut regarder les faits. En Afrique, si de nombreux présidents refusent de quitter le pouvoir, c’est souvent parce qu’ils craignent d’être poursuivis une fois leur mandat terminé. Cette peur est réelle et elle freine l’alternance”. Il rappelle un cas similaire en Guinée. “ Prenez deux faits récents. En 2020, Elhadj Cellou Dalein Diallo avait promis au président Alpha Condé qu’il ne serait pas poursuivi s’il acceptait l’alternance. Malgré cela, Alpha Condé a répondu publiquement : « Si je quitte le pouvoir, je serai poursuivi. » Cette peur a conduit au troisième mandat. Et ce troisième mandat a lui-même provoqué un coup d’État. Le peuple s’en souvient”, a-t-il indiqué.
Pour Alhassane Makanera Kaké, “ si nous voulons être réalistes et éviter des crises graves – des violences, des morts – il vaut parfois mieux sécuriser le départ des dirigeants en leur garantissant une certaine protection. C’est une manière de rendre possible une alternance pacifique, en attendant que la culture démocratique mûrisse. C’est là toute la philosophie de cette disposition. Elle n’encourage pas l’impunité pour le plaisir. Elle vise plutôt à rassurer les présidents en exercice : « Partez tranquillement, vous ne serez pas inquiétés. » C’est une mesure temporaire, pragmatique, qui répond à un blocage réel dans nos systèmes politiques”, a-t-il ajouter.
Une crainte qui, au sens de ce juste, ne saurait exister dans des grandes démocratie. “Dans des pays comme la France, ce genre de garantie n’est pas nécessaire. Là-bas, un président ne dit jamais : « Je reste, sinon on va me poursuivre. » Mais chez nous, cette crainte existe. Alors, pour que le système fonctionne, pour éviter que ceux qui détiennent le pouvoir s’y accrochent et répriment l’opposition, il faut parfois faire des concessions.”
M Kaké trouve par ailleurs en cette disposition, un compromise qui pourrait éviter d’autres bavures. “Si on ne leur accorde pas cette garantie, ils resteront au pouvoir et c’est nous qui serons poursuivis, emprisonnés, maltraités. C’est donc une forme de compromis. Une manière de débloquer le système, de créer les conditions d’une transition démocratique. Regardez cela comme un véhicule dont les pneus sont usés.”
Toutefois, il est bien conscient ce n’est pas une solution parfait, mais, “ Si vous devez rentrer chez vous, peu importe que vous utilisiez des pneus de camion ou même de charrette, l’important, c’est d’avancer. Nous sommes à cette étape: réparer les blocages qui empêchent nos constitutions de fonctionner. Parmi ces blocages, il y a la « sédentarisation » du pouvoir. Et l’une des causes principales, c’est cette peur de poursuite. Avec cette disposition, on dit: « Quittez, vous ne serez pas poursuivis. » Ce n’est pas une solution parfaite, mais c’est une piste pour encourager l’alternance”, a-t-il conclu.
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