Devant une école, un homme politique serre des mains :
« Quel métier feras-tu plus tard, petit ?
– Député, comme vous !
– Bravo, et pourquoi ça ?
– Parce que papa dit que c’est le seul boulot où on est payé à dormir en public. »
Ce trait d’humour un brin acerbe donne le ton. La Guinée a pris son cap constitutionnel. Voiles au vent, le navire est lancé vers le référendum du 21 septembre. Les ministres ont déserté leurs bureaux climatisés et tourné le dos aux rues inondées de Conakry pour se lancer à l’assaut du pays profond. Objectif ? Prêcher la bonne parole. On parle officiellement d’un exercice d’explication de texte, même si d’aucuns n’y voient qu’une opération de charme en faveur du « Oui », et une occasion de plus pour célébrer les « acquis du CNRD ».
Quid du projet de constitution ?
Rien de vraiment nouveau sous le soleil des indépendances africaines, souvent qualifiées de factices. Les « experts » qui l’ont enfanté ont dû se triturer les méninges pour éviter les sentiers battus. Le résultat n’a sans doute pas fait sauter de joie ceux qui rêvaient de les voir réinventer la roue, si ce n’est l’eau chaude, afin de sortir de ce modèle que certains qualifient de démocratie à l’occidentale.
La belle formule reprise par le manitou du CNT, le parlement non élu de la transition, tel un slogan de marketing, avait pourtant suscité beaucoup d’attentes : une constitution « qui nous ressemble et qui nous rassemble ».
Il faut reconnaître que le texte, sans être vraiment révolutionnaire, est cependant dans l’air du temps. Sur le papier il affiche des ambitions louables, même si sous cette belle façade il y a de réelles failles. Et pas seulement dans les détails où se nicherait le diable.
Après la nomination de la directrice générale de la DGE (direction générale des élections), créée en juin dernier et chargée dorénavant d’organiser les élections et referendums en Guinée, c’est un petit pas de plus vers le retour à l’ordre constitutionnel. Mais ne s’agit-il pas aussi d’une grande enjambée vers une crise institutionnelle ?
Alors que le projet de constitution prévoit un organe indépendant pour gérer les scrutins, la DGE, sous tutelle de l’exécutif, est chargée, jusqu’à preuve du contraire, d’organiser le référendum annoncé et les échéances électorales qui suivront !
Si la future Constitution prime a priori sur tout décret, des interrogations subsistent néanmoins.
La DGE, nommée avant le référendum et rattachée à l’exécutif, organisera le scrutin sous l’ancien ordre juridique, tout en conservant la charge des élections futures. Une décision qui corrode l’esprit du nouveau texte avant même son adoption.
En cas de victoire du « Oui » (ce qui est plus que probable), l’organe indépendant constitutionnalisé devrait-il alors coexister avec la DGE déjà en place ? Et si la suppression de la DGE est envisagée, il serait légitime de questionner pourquoi ses compétences n’ont pas été dès lors limitées au seul référendum prévu en septembre. Ne risque-t-on pas d’assister à la « transformation » future d’une structure sous tutelle en une entité dite « indépendante » via des lois organiques ?
De toutes les façons, rétorqueront certains, avec l’hyper-présidentialisme c’est bien l’exécutif qui aura le dernier mot dans le choix des membres du futur organe censé être indépendant.
Après tout, le véritable défi ne réside pas seulement dans le texte, qui pourrait n’être qu’une simple liste d’intentions, mais surtout dans sa mise en œuvre concrète sur le terrain. Comme pour les constitutions antérieures, qui n’étaient pas toutes mauvaises non plus, cette nouvelle loi fondamentale n’aura de valeur que celle que nous accepterons de lui donner. Aussi moderne soit-elle sur le papier, elle ne portera ses fruits que si le peuple, les institutions et les dirigeants s’engagent pleinement à la faire respecter au quotidien.
Le référendum annoncé n’est pas donc une fin en soi, il devrait plutôt être le début d’un combat de longue haleine.
Comme le disait, avec malice, un ancien ministre guinéen : « La vraie démocratie ne réside pas dans les beaux articles qui la consacrent, mais dans la volonté collective de les mettre en œuvre. »
Une vérité que certains de nos anciens députés n’ont peut-être jamais perçue. Même dans leurs rêves les plus profonds.
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