Interview de Mohamed Diawara, président sortant de l’Association des Magistrats de Guinée (AMG)
Monsieur le Président, quel était l’état de l’AMG à votre prise de fonction en mars 2022 ?
À notre arrivée, l’Association était en situation de léthargie. Plusieurs membres du bureau sortant avaient été affectés à l’intérieur du pays, ce qui rendait le fonctionnement collectif difficile. Pourtant, les attentes des magistrats étaient grandes. Il fallait restaurer la crédibilité de l’AMG, relancer sa dynamique interne et repositionner l’Association dans le débat public et institutionnel.
Quelles ont été vos priorités dès le début de votre mandat ?
Notre priorité a été de redonner à l’AMG son autorité morale et sa visibilité. Cela impliquait de défendre les magistrats, de veiller au respect du statut de la magistrature, d’engager une réforme institutionnelle de notre Association, et surtout de promouvoir l’indépendance du pouvoir judiciaire. Il fallait replacer le magistrat au cœur de la République.
Quels sont les acquis majeurs que vous retenez de votre mandat ?
Plusieurs avancées significatives ont été obtenues. Parmi les plus marquantes, je retiens :
La résistance victorieuse face aux suspensions arbitraires, notamment à Labé ;
L’organisation d’un sit-in historique devant la Cour suprême pour défendre l’indépendance du pouvoir judiciaire ;
La révision des statuts et du règlement intérieur de l’AMG ;
L’ouverture d’un compte bancaire officiel, assurant une gestion saine et transparente des ressources financières de l’Association ;
La mise en œuvre du programme de modernisation et de valorisation du système d’identification des magistrats et greffiers, à travers la carte professionnelle numérique sécurisée, l’insigne métallique doré et la cocarde pare-brise à ventouse ;
Le lancement de démarches pour l’obtention d’un siège permanent ;
L’implication active du Conseil d’administration dans les démarches visant à rétablir les veuves et orphelins de magistrats décédés dans leurs droits, notamment pour le déblocage des fonds détenus par les établissements bancaires ;
La régularisation du paiement des pensions et des réversions au profit des magistrats retraités et des ayants droit, à travers une concertation soutenue avec les autorités compétentes et les institutions concernées ;
La contribution humanitaire de l’AMG, en janvier 2024, en faveur des familles sinistrées de Kaloum à la suite de l’explosion dramatique survenue au dépôt d’hydrocarbures. L’Association, en tant qu’acteur citoyen, a mobilisé ses ressources et exprimé sa solidarité par des dons symboliques remis aux autorités locales et aux familles affectées, réaffirmant ainsi que la justice est aussi une affaire de compassion et de présence humaine.
Le soutien constant et déterminé aux magistrats victimes d’arbitraire ou d’injustice, dans le respect des textes, avec courage et responsabilité ;
Et enfin, le rayonnement international de l’AMG, aujourd’hui reconnue et sollicitée pour le partage d’expériences et de bonnes pratiques sur plusieurs continents.
Justement, quel a été le rôle de l’AMG sur la scène internationale ?
Sous mon leadership, l’AMG a occupé une place active dans les instances judiciaires africaines et internationales. Nous avons pris part à de nombreuses rencontres majeures, notamment à Tunis, Bamako, Tel-Aviv, Taipei, Monrovia, Cape Town, Abidjan, Ouagadougou et Casablanca.
Ces participations ont renforcé la crédibilité de notre Association, favorisé l’ouverture de partenariats structurants, et permis à la Guinée de faire entendre une voix forte dans les débats sur l’indépendance judiciaire.
L’AMG a également été distinguée. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Effectivement. Deux distinctions majeures ont marqué la reconnaissance continentale de notre action :
Le Trophée d’honneur et le Diplôme de reconnaissance décernés par l’Union nationale des magistrats de Côte d’Ivoire (UNAMACI) à Abidjan, le 29 juillet 2023 ;
Et plus récemment, le Trophée d’honneur et le Diplôme de reconnaissance remis par le Syndicat autonome de la magistrature burkinabè (SAMAB) à Ouagadougou, le 5 avril 2025.
Ces distinctions saluent notre engagement en faveur de l’indépendance judiciaire, notre solidarité inter-magistrature, ainsi que l’image responsable que nous avons su projeter de la magistrature guinéenne.
Sur le plan national, l’engagement du bureau sortant pour la défense de l’indépendance du pouvoir judiciaire m’a valu d’être élu Deuxième Personnalité Guineenews de l’année 2022.
En 2024, lors de la 8e édition du Forum national des acteurs publics (FONAP), j’ai été désigné parmi les 100 personnalités qui font bouger la Guinée.
Il convient toutefois de préciser que tous ces prix et honneurs, tant au niveau national qu’international, n’auraient jamais été possibles sans l’engagement constant, loyal et éclairé de l’équipe sortante, ainsi que l’accompagnement actif et bienveillant des magistrats qui m’ont plébiscité à la tête de l’Association. Ces distinctions sont donc le reflet d’un travail collectif, fruit d’un engagement commun en faveur de l’excellence judiciaire et de l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Quels ont été les principaux obstacles rencontrés ?
Les défis n’ont pas manqué. Nous avons été confrontés à :
Une faible mobilisation des cotisations ;
L’absence de subventions publiques ;
Et le manque d’un siège propre, ce qui a parfois ralenti notre fonctionnement administratif.
Ces difficultés ont été surmontées grâce à la conviction, au travail bénévole et à l’engagement collectif des membres du Conseil d’administration.
Que peut-on attendre de l’AMG dans les années à venir ?
L’AMG nourrit une ambition forte : organiser à Conakry une réunion du Groupe africain de l’Union internationale des magistrats. Ce serait une première historique pour la Guinée, et un acte symbolique fort en faveur de la diplomatie judiciaire et de la coopération continentale.
Les bases de cette initiative sont déjà posées, à travers l’implication active du Conseil d’administration dans les travaux du Groupe africain.
Nous devons également renforcer la formation continue, consolider l’unité de la magistrature, et bâtir une association financièrement autonome, dotée d’un siège moderne et fonctionnel.
Pourquoi n’avez-vous pas souhaité briguer un second mandat ?
Je considère que les responsabilités ne doivent jamais devenir des privilèges. J’ai donc fait le choix de ne pas me représenter, afin de favoriser l’unité, la relève et la continuité. Ce retrait n’est en rien un renoncement, mais une manière de rappeler que l’intérêt collectif doit toujours primer sur les ambitions personnelles. Les hommes passent, l’institution demeure.
Un dernier mot pour conclure ?
Je tiens à exprimer ma profonde gratitude à l’ensemble des magistrats de Guinée pour leur confiance, leur soutien et leur engagement sans faille.
Je rends également un vibrant hommage aux membres du Conseil d’administration pour leur collaboration exemplaire et leur dévouement au service d’une justice équitable et accessible.
Je remercie le Ministre de la Justice pour son écoute constante et son accompagnement, ainsi que les hautes autorités de notre pays, notamment la Présidence de la République, pour leur appui et leurs conseils avisés.
Le bureau sortant adresse ses félicitations sincères à la nouvelle équipe dirigeante, et se tient pleinement disponible pour partager son expérience, dans un esprit de continuité, de solidarité et de coopération, afin de contribuer collectivement au rayonnement de la magistrature guinéenne.
J’adresse également une invitation solennelle à tous les magistrats de Guinée : soutenez sans réserve la nouvelle équipe dans l’accomplissement de sa noble mission. L’AMG est notre maison commune ; sa réussite dépend de l’implication de chacune et de chacun.
Ce mandat fut exigeant, mais aussi porteur d’honneur, de dignité et de fierté.
Au-delà des actions institutionnelles, nous avons œuvré à faire de l’AMG une véritable famille professionnelle, solidaire et attentive aux réalités humaines. Qu’il s’agisse des démarches en faveur des veuves et orphelins, ou du rétablissement des droits à pension et à réversion des magistrats retraités ou décédés, nous n’avons laissé personne de côté.
Défendre la dignité du magistrat, c’est aussi protéger sa mémoire et sa famille.
Vive la Magistrature guinéenne !
Vive l’AMG !
Pour une justice forte, indépendante, humaine et au service de la République.
Un leadership qui inspire :
Il convient de rappeler que le Président sortant de l’AMG est bien plus qu’un magistrat. Il est un bâtisseur de conscience juridique, un héraut de l’intégrité judiciaire et une référence pour toute une génération. À travers son engagement national et international, il incarne l’espérance d’une justice guinéenne moderne, indépendante et exemplaire.
Son leadership, notamment dans la défense de l’indépendance du pouvoir judiciaire, est reconnu bien au-delà des frontières africaines. C’est ce qui a justifié sa désignation comme premier expert subsaharien par les Magistrats Européens pour la Démocratie et les Libertés (MEDEL), pour représenter l’Afrique devant les magistrats européens au Conseil de l’Europe à Strasbourg, le 3 juin 2025.
Son parcours démontre que le courage, le savoir et la foi en la République peuvent redonner à la justice ses lettres de noblesse.
Pourvu que son exemple inspire la relève.
Avec Yansané