Depuis plusieurs semaines, un malaise financier s’installe en Guinée, perceptible principalement dans les banques. Les citoyens s’inquiètent, les files d’attente s’allongent devant les guichets, et chacun y va de son propre diagnostic. Pour les économistes, il s’agirait d’une crise de liquidité, pour les plus alarmistes, on serait déjà entré dans une crise de solvabilité, quant aux citoyens ordinaires, ils parlent tout simplement d’une crise de billets. Mais au fond, de quoi s’agit-il réellement ? Il est temps de mettre un peu d’ordre dans les mots pour mieux éclairer nos choix collectifs.
Commençons par la crise de liquidité. Celle-ci ne signifie pas l’absence d’argent dans l’économie, mais plutôt une difficulté passagère à mobiliser des fonds immédiatement disponibles. En d’autres termes, ce n’est pas que l’argent n’existe pas, c’est qu’il n’est pas accessible au moment opportun. En Guinée, cela se manifeste par la rareté du cash dans les banques, les difficultés à effectuer des retraits, et des retards dans les paiements de l’État ou du secteur privé. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation, une planification budgétaire déficiente, l’accumulation d’arriérés, des lenteurs administratives, ou encore une mauvaise circulation des fonds publics. Il s’agit donc d’un problème de trésorerie, et non d’une faillite.
À un autre niveau, certains redoutent une crise de solvabilité. Là, la gravité est toute autre car il ne s’agit plus seulement d’un problème temporaire de trésorerie, mais d’une incapacité structurelle à rembourser ses dettes, même à moyen ou long terme. Cela signifie que même en liquidant ses actifs, un État, une entreprise ou une banque ne pourrait pas honorer ses engagements. Cette hypothèse, bien que plus alarmante, est prise au sérieux par certains observateurs, notamment face à l’aggravation de la dette publique, au ralentissement des recettes fiscales et à la dégradation des comptes d’entreprises publiques stratégiques. Si une telle situation venait à se confirmer, nous ne serions plus dans une crise conjoncturelle, mais bien dans une crise systémique.
Cependant, pour l’écrasante majorité des Guinéens, ce qui compte au quotidien, ce n’est ni la dette, ni les équilibres macroéconomiques. Ce qu’ils vivent, c’est l’impossibilité de retirer leur argent, les guichets automatiques à sec, et la préférence des commerçants pour le cash au détriment des paiements électroniques. C’est cela qu’ils désignent, sans jargon technique, comme une “crise de billets”. Ce phénomène, bien qu’il soit le plus visible, n’en est pas moins complexe. Il peut résulter d’un déséquilibre logistique dans la distribution des espèces, d’une crise de confiance envers les institutions financières, ou encore de pratiques de thésaurisation adoptées par certains acteurs économiques.
Dans ce contexte déjà troublé, la divergence entre les déclarations du Premier ministre Bah Oury et celles du gouverneur de la Banque centrale a contribué à accentuer la confusion. Tandis que le Premier ministre parle d’une crise de liquidité, autrement dit d’une tension passagère de trésorerie, le gouverneur de la Banque centrale lui évoque une “crise de billets”, centrée sur les dysfonctionnements liés à la disponibilité physique de la monnaie fiduciaire. Cette dissonance dans les discours officiels, au lieu d’éclairer l’opinion publique, a alimenté les incertitudes. Car lorsque les plus hautes autorités économiques du pays ne décrivent pas la situation avec les mêmes mots, comment espérer construire une réponse cohérente et crédible ?
Or, c’est justement cette confusion qui rend le débat dangereux. Car en mélangeant ces notions, liquidité, solvabilité, circulation fiduciaire, on brouille les repères et l’on risque de poser de mauvais diagnostics. C’est un peu comme confondre la fièvre, l’infection et l’épidémie, les symptômes peuvent se ressembler, mais les causes diffèrent, tout comme les traitements.
Dès lors, il devient essentiel de faire la part des choses. Si nous sommes confrontés à une crise de liquidité, il faut injecter rapidement du cash dans l’économie, optimiser la gestion de trésorerie publique et rassurer les agents économiques. Si c’est une crise de solvabilité, alors des mesures de fond s’imposent, restructuration de la dette, révision des priorités budgétaires et renforcement de la gouvernance. Si, en revanche, le problème est essentiellement une crise de billets, la réponse doit être logistique et technique, moderniser les réseaux bancaires, améliorer la distribution des espèces, et restaurer la confiance des usagers envers le système financier.
Dans tous les cas, la solution ne pourra émerger que d’une combinaison de trois exigences, transparence, rigueur, et pédagogie. Transparence dans la communication de l’État, rigueur dans la gestion des finances publiques, et pédagogie pour expliquer la situation aux citoyens, sans les infantiliser ni les affoler.
La Guinée n’a pas besoin de panique, encore moins de discours contradictoires. Elle a besoin de clarté, d’unité de langage, et de lucidité collective. Nommer précisément les choses, c’est déjà faire un pas vers leur résolution. Dans un climat où les frustrations sociales s’accumulent, où les rumeurs prennent parfois le pas sur l’information, il est urgent que les décideurs parlent d’une même voix, avec des mots justes et des données crédibles.
Car ce qui mine une économie n’est pas toujours le manque d’argent. Bien souvent, c’est le manque de confiance. Et celle-ci ne se décrète pas, elle se construit, patiemment, dans la vérité, la cohérence et l’exemplarité.
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Yacouba Mariame KONATE
Doctorant en Administration des Affaires
ESC-Clermont Business School